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Les mutuelles de santé en RD Congo

I. Intoduction

A l’heure où la communauté internationale réalise que les Objectifs du Millénaire ne seront pas atteints, en tous cas en Afrique, notamment pour ce qui concerne la santé, les questions de l’accès aux soins et du financement de la santé refont surface de façon cruciale.

La santé est un droit de l’homme fondamental.
Ce droit inaliénable est inscrit dans la déclaration des Droits de l’Homme, n’en déplaise à J. Kirpartick, ancien ambassadeur de Reagan aux Nations-Unies, qui considéraient les droits sociaux contenus dans ladite déclaration comme une « lettre au Père Noël »…
Ce droit fondamental à la santé, la conférence internationale d’ALMA ATA en 1978 tentera d’en définir les contours et de proposer les conditions de sa mise en œuvre. Elle nécessitait un changement radical de l’ordre économique du monde.
On sait ce qu’il en fut.
Quelques années plus tard, la déferlante néolibérale s’abattait sur le monde.
Dans les pays d’Afrique, malmenés par la première crise de la dette, les Etats se virent imposer les fameux plans d’ajustement structurels par le FMI et leur capacité de prise en charge des dépenses de santé fut réduite à néant.

Quelques années plus tard, l’initiative de Bamako tentera de relancer le débat et d’esquisser des pistes de solution.
On lui attribuera à tort et de façon simpliste d’avoir préconisé le recouvrement des coûts chez les malades.
Elle aura au contraire contribué à lancer l’idée des mutuelles de santé pour favoriser un meilleur accès aux soins des populations pauvres.

Les coûts de la santé sont élevés.
Et on peut affirmer sans risque de se tromper, que partout dans le monde, mis à part les quelques pourcents de personnes parmi les plus riches, sans couverture de santé, les soins sont inaccessibles pour le plus grand nombre.
Il est dès lors légitime de revendiquer la gratuité des soins.
A fortiori pour les pauvres du Nord et les masses miséreuses du Sud.
Certes. Mais comment garantir durablement cette (quasi)gratuité, comment et par qui la financer ?

La responsabilité en revient d’abord aux Etats.
La santé est chose trop sérieuse pour être laissée à l’initiative individuelle, encore moins au marché.
La santé de la population doit constituer une des préoccupations majeures d’un Etat digne de ce nom.
Cette responsabilité, il peut l’exercer en organisant lui-même tout le secteur de la santé, en gérant les hôpitaux, les centres de santé, en organisant tout le circuit de distribution des médicaments…

Il peut aussi exercer sa responsabilité en déléguant certains services à d’autres institutions. Il doit alors impérativement jouer son rôle normatif en légiférant de manière adéquate et exhaustive.
Il doit jouer son rôle régulateur en fixant les balises, en contrôlant les acteurs…

L’option d’une politique de gratuité ou quasi gratuité des soins nécessite une vision, une planification, la construction d’un système structurel national durable et soutenable qui repose soit sur une mobilisation de fonds par l’impôt, soit par des cotisations sociales comme dans le cas de mutuelles de santé (soit un mixte des deux logiques).
Le passage à la couverture universelle, à l’assurance santé obligatoire ne se réalise pas d’un coup de baguette magique.
Depuis 4 ans, la RDC s’est lancée dans le processus de couverture universelle. 
Une commission présidentielle sur la couverture universelle a proposé un avant-projet de loi visant à garantir l’accès de tous à des soins de santé de qualité.

Ce système de couverture universelle en soins de santé repose sur plusieurs principes:
1° L’instauration d’un système d’assurance maladie obligatoire
2° La solidarité nationale qui impose à chaque bénéficiaire une contribution financière sous forme de paiement anticipatif appelé cotisation et le cofinancement des cotisations des ménages à faibles revenus, en particulier les démunis et les vulnérables, par des ressources publiques.
3° le droit de toute personne vivant sur le territoire congolais de bénéficier d’un paquet de base des soins de santé;
4° La participation de l’employeur et des employés à la prise en charge des soins de santé de ces derniers dans les secteurs formels;

Le pays a récemment voté une Loi sur les mutuelles de santé.
C’est probablement la première Loi sociale depuis l’indépendance.
Elle remplace celle de 1958, avant l’indépendance, maintenant obsolète.
Il s’agit d’une grande avancée dans la politique d’accès aux soins de santé. Les mutuelles de santé existant déjà sont nées de la volonté de communautés, elles sont d’initiative populaire et entendent le rester. L’extension, la généralisation progressive des mutuelles de santé sera le fait du travail de terrain et la concrétisation de cette volonté populaire.
Pourtant, celle-ci ne peut y arriver seule.
Le soutien de l’Etat est indispensable.
Pour légiférer, donner un cadre légal, préciser les droits et devoirs des mutuelles de santé, éviter les dérives, pour aussi en financer partiellement le fonctionnement, pour réguler les relations avec les prestataires…
Pour peut-être demain qui sait, partir de cette base pour construire une institution nationale capable d’encadrer l’ensemble du financement mobilisé par la population.

Malgré ces avancées pourtant, il faut reconnaître que, face aux partenaires en Santé qui amènent des fonds supérieurs à ce qu’il mobilise lui-même pour la santé dans son budget, l’Etat intervient peu et laisse trop souvent se mettre en place des politiques contraires aux intérêts du pays et de la population.

Le secteur de la santé trop dépendant de l’aide internationale.
Mais les crises financières et économiques qui frappent les pays du Nord ont pour conséquence des réductions parfois drastiques des budgets de coopération au développement.
L’Espagne a ainsi réduit son budget de plus de 6O% l’Italie de 34,7%, la Grèce de 17%, la Belgique de 13% en 2012.
Peu de pays respectent l’objectif fixé par la communauté internationale de consacrer 3.7% du RNB à la coopération au développement.
Partout les aides publiques sont en régression.

Plus que jamais dès lors, la question de la souveraineté de l’Etat se pose. Elle passe par les capacités à créer de la richesse, à en ponctionner une partie, à la répartir correctement et à financer les besoins sociaux.
La question se pose aussi pour le secteur de la santé.
Il semble difficile d’imaginer qu’à court terme, l’Etat Congolais recouvre sa plaine souveraineté en la matière et soit capable de financer directement le système de santé et les coûts des soins de la population.
Dans ce contexte, le financement de la santé, par l’extension et la généralisation des mutuelles de santé peut constituer une voie possible.
Car elles consistent en un réel effort d’une population pour prendre en charge solidairement les coûts de la santé. Les mutuelles de santé, outre qu’elles améliorent considérablement l’accessibilité financière aux sois de santé, constituent ainsi les prémices d’un financement endogène généralisé de la santé.

II. Les difficultés d'implantation significative.

« Les mutuelles, ça ne marche pas ! », nous rétorquent souvent les détracteurs et les sceptiques.
Ils s’appuient sur des données qui montrent effectivement le faible pourcentage de d’adhésion des populations.
On parle de 1%. Les taux de pénétration restent trop faibles.
De nombreuses études ont mis en lumière les multiples déterminants de l’adhésion des ménages aux mutuelles de santé.
Ils sont bien connus des acteurs de terrain qui vivent au quotidien les obstacles qu’il leur faut vaincre pour construire et progresser dans la dynamique du projet mutuelliste.

Le premier grand obstacle se situe du côté de l’offre.
Quand celle-ci n’existe pas, quand le centre de santé ou l’hôpital de référence se situe est trop éloigné et qu’il est pénible de s’y rendre, quand surtout, la qualité de l’accueil, de la prise en charge et des soins prodigués est jugée insatisfaisante par la population, celle-ci ne recourent tout simplement pas aux structures de santé agrées et préfèrent se référer aux guérisseurs traditionnels ou pratiquer l’auto médication.
Les mutuelles de santé ne peuvent naître et se développer que là où la population peut trouver des formations sanitaires proches et offrant des soins de qualité.
La mauvaise qualité des soins dans de nombreuses formations sanitaires rend pratiquement impossible le démarrage d’un processus mutuelliste.
A contrario, on peut aussi insister sur le rôle que peuvent jouer les mutuelles de santé dans le processus d’amélioration des soins.

Les prestataires, mal informés sur les principes d’une mutuelle de santé, peu sensibilisés à ses perspectives, « subissant » les tarifs plus favorables pour les malades mutuellistes négociés par la Mutuelle de santé, se transforment souvent en contre propagande et considère la mutuelle de santé comme une « vache à lait » comparable aux grandes entreprises vis-à-vis desquelles on pratique allègrement la surfacturation…
En première ligne auprès des malades, ils ont la possibilité de promouvoir ou au contraire de décourager l’adhésion à une mutuelle.

Les revenus constituent un deuxième obstacle.
Ceux d’une grande majorité de la population restent trop faibles, même pour ceux qu’on ne peut qualifier d’indigents.
Se nourrir et envoyer ses enfants à l’école, se loger…
sont pour beaucoup les premières priorités.
Encore qu’il faille nuancer quelque peu la question, les réserves subjectives, les priorités données à d’autres dépenses non vitales sont dans un certain nombre de cas une limite aussi importante que la faiblesse intrinsèque des revenus.

La solidarité africaine est une réalité, mais elle se vit traditionnellement à l’intérieur de la famille élargie, du clan, au mieux de l’ethnie.
Elle se concrétise aux moments difficiles de la vie, quand un événement bouleverse la vie familiale.
Les mutuelles de santé sont dans une logique de solidarité « longue », anonyme, qui transcende les appartenances religieuses ou ethniques, elle est moins apparente, moins lisible.

L’adhésion à une mutuelle de santé postule non seulement la solidarité avec de possibles inconnus, mais aussi la prévoyance familiale.
C’est un des principes de base du mutuellisme.
En RD Congo cependant, la culture traditionnelle fait dire à beaucoup que prévoir pour sa maladie possible, c’est à coup sûr l’attirer sur soi.
Cette barrière mentale peut constituer un véritable handicap à l’adhésion aux mutuelles de santé.

La population a souvent été trompée par diverses expériences similaires ou perçues comme telles (les tontines…).
Les premières années d’une mutuelle de santé sont toujours difficiles, car il faut gagner la confiance d’une population rendue méfiante.
Les échecs, les malversations connues dans un passé plus ou moins lointain restent dans les mémoires et il faut alors du temps, une rigueur de gestion exemplaire, un fonctionnement véritablement démocratique de la mutuelle…
pour obtenir la confiance.
L’engouement récent pour les mutuelles de santé peut représenter une nouvelle menace, dans la mesure où il ne manquera pas d’aventuriers pour lancer des initiatives bricolées qui risquent de se terminer dans la confusion si ce n’est avec le vol de la caisse…Certains bailleurs sont prêts à injecter des moyens financiers dans le projet de mutuelles.
Ils n’y connaissent souvent pas grand-chose et risquent d’investir à fonds perdus, sans vison claire du projet et de son processus.
Certes, il faut des moyens pour démarrer, et dans un premier temps, les cotisations faibles des adhérents ne peuvent couvrir les coûts de démarrage et de fonctionnement. Un apport extérieur est indispensable.
Celui-ci doit pourtant être balisé, s’intégrer dans une démarche qui rende l’autonomie financière possible dans un terme raisonnable et convenu au départ. Trop d’argent provenant de subvention peut tuer le processus.

Car le facteur humain sera décisif. Outre les difficultés déjà évoquées, il faut prendre en compte la relative complexité du système mutuelliste.
Sa gestion nécessite des cadres et des agents compétents, maîtrisant correctement la technique et les procédures.
L’investissement dans la formation de sensibilisateurs qui savent de quoi ils parlent, de gestionnaires, d’animateurs, de cadres sera probablement le facteur décisif de réussite.
Outre leur compétences techniques, les agents, ainsi que les responsables élus des mutuelles de santé doivent partager en profondeur la vision, la philosophie, les valeurs du mutuellisme et faire preuve de qualités morales indéniables.

Enfin, les règles de fonctionnement internes de la mutuelle elle-même peuvent s’avérer des freins à l’adhésion de certaines familles, notamment les familles nombreuses.
L’obligation de faire adhérer l’ensemble du ménage, couplée à une cotisation individuelle, souvent identique pour les enfants comme pour les adultes, limite la capacité d’adhésion des familles nombreuses.
L’obligation de libérer la totalité de la cotisation annuelle avant le démarrage de l’année mutuelliste est un autre frein.

La couverture proposée, la qualité du service mutualiste, sa rapidité, la proximité avec la population concernée, la qualité des informations données…sont autant de paramètres qui jouent un rôle dans la capacité des mutuelles de santé à attirer le plus grand nombre.

Les études réalisées sur les déterminants de l’adhésion aux mutuelles de santé mettent en lumière tous ces éléments.
Elles parlent rarement d’autres facteurs qui nous semblent jouer aussi un rôle décisif.
Les politiques de gratuité des soins, telles que mise en œuvre par de nombreuses ONG internationales, bloquent la reconstruction du système de santé national et perturbent gravement l’émergence et le développement des mutuelles de santé.
La population pauvre qui se voit offrir, ne fusse que pour un temps déterminé des soins gratuits ou semi-gratuits, renonce provisoirement à cotiser à la mutuelle.

Dans le secteur de l’économie formelle, les entreprises doivent selon la Loi couvrir les dépenses de santé de son personnel.
Une façon de le faire peut constituer en la prise en charge des cotisations mutuellistes. L’expérience montre qu’on peut rencontrer des oppositions internes aux entreprises (syndicales, personnel…) à cette nouvelle modalité de prise en charge.
En outre, de nombreux prestataires y voient là la disparition d’une opportunité de surfacturation importante…et n’encourage pas le processus.

Malgré la grande pauvreté du pays, il existe aussi en RD Congo un marché « solvable ».
Certaines compagnies d’assurances privées, Sud-Africaine notamment, y sont déjà présentes et tentent de capter les bons risques (riches, jeunes et en bonne santé !).
Si c’est élément ne peut être retenu comme un frein significatif à l’adhésion aux mutuelles de santé aujourd’hui, il constitue cependant un risque pour l’avenir.
Un système de financement et d’accès à la santé, solidaire, et généralisé ne pourra cohabiter avec une logique d’assurances privées marchandes.
Le financement général du système doit pouvoir inclure les cotisations différenciées selon les revenus, des plus riches comme des plus pauvres.

III. Les mutuelles de santé, c'est possible.

Certes, l’analyse des déterminants de l’adhésion et des difficultés multiples rencontrées par les promoteurs est indispensable.
Elle ne mène pourtant à rien, sinon à conforter le camp des sceptiques, si elle n’est pas complétée par l’analyse des succès et si les acteurs ne les utilisent pour vaincre les difficultés, transformer les contraintes en opportunités, les menaces en atouts.

Car des succès, il y en a aussi.
On peut s’interroger sur le peu de publicité dont ils bénéficient…
Au Sud-Kivu plusieurs mutuelles de santé dépassent de loin ce taux de pénétration moyen de 1%.
Le tableau ci-après donne l’état des adhésions en 2013 pour les 23 mutuelles existantes.

1. LA SITUATION CHIFFREE DES MUTUELLES DE SANTE POUR 2013.

MUSA Effectif 2014 Effectif 2013 Encien Nouveau % Ancien % Nouveau Ménage Taille moyenne
1 Idjwi Sud 8170 7810 6847 963 87,7 12,3 1944 4
2 Idjwi Nord 6423 5029 4463 566 88,7 11,3 1236 4
3 Kalehe 3295 3233 2109 1124 65,2 34,8 760 4
4 Nyatende 13369 13071 11565 1506 88,5 11,5 4099 3
5 Kadutu 9136 11250 8754 2496 77,8 22,2 2280 5
6 Ciriri 10463 10269 7100 3169 69,1 30,9 3143 3
7 Mse 3074 2864 1234 1630 43,1 56,9 1000 3
8 Bagira 4803 4821 2975 1846 61,7 38,3 1447 3
9 Katana 3018 4186 2854 1332 68,2 31,8 1320 3
10 Birava 2391 2151 1922 229 89,4 10,6 635 3
11 Murhesa 2451 3509 2011 1498 57,3 42,7 1123 3
12 Kamanyola 2102 2576 1254 1322 48,7 51,3 510 5
13 Ibanda 9323 10270 8245 2025 80,3 19,7 2035 5
14 Kabare 2139 2290 2034 256 88,8 11,2 540 4
15 Walungu 2296 3000 1958 1042 65,3 34,7 769 4
16 Mubumbano 2912 2356 1382 974 58,7 41,3 1153 2
17 Nyangezi 6273 6307 4702 1605 74,6 25,4 1541 4
18 Cahi 6408 4251 2242 2009 52,7 47,3 1158 4
19 Uvira 4501 5043 2661 1085 52,8 21,5 1009 5
20 Luvungi 2110 3256 1684 1512 51,7 46,4 885 4
21 Burhale 2323 2608 2058 550 78,9 21,1 522 5
22 Mwana 3103 5726 2862 2864 50,0 50,0 1440 4
23 Kaziba 0 5287 0 5287 0,0 100,0 1791 3
TOTAL 110083 121163 82916 36890 68,4 30,4 32340 4



En 2013, le Sud-Kivu compte 23 mutuelles de santé réparties sur 14 zones de santé (sur les 34 zones que compte la Province du Sud-Kivu).
Les mutuelles de santé totalisent à ce jour 121163 membres, ce qui représente un taux de pénétration de près de 5%.
De 2010 à 2012, il a évolué de 2.7%à 4.2% dans l’ensemble des zones disposant d’au moins une mutuelle de santé. En 2012, il était de 7.1%à Bukavu et de 12.5% à Nyantende.

Le taux de fidélisation des membres pour l’année 2012 varie de 70 à 100% (8 mutuelles atteignent 100% de taux de fidélisation)).
Cette même année, les mutuelles de santé du Sud-Kivu ont dépassé la barre symbolique des 100.000 adhérents.
En moins de 5 ans, le nombre d’adhérents aux mutuelles de santé a triplé dans la province en passant de 29.648 membres en 2007 à 109 908 en 2012.

Evolution des MUSA de 1997 à nos jours La croissance du nombre des membres est constante depuis la création des mutuelles de santé en 1997.
Ces chiffres sont certes liés à l’augmentation du nombre de mutuelles mais également à la fidélisation des anciens membres et à l’adhésion de nouveaux membres au sein des mutuelles existantes.

Depuis leur mise en place et malgré la situation de guerre et d’insécurité dans laquelle les mutuelles de santé du Sud-Kivu évoluent, aucune n’a cessé ses prestations à l’égard de ses membres, ce qui témoigne de la nécessité et de la solidité des mutuelles de santé au sein des communautés.

Les mutuelles de santé ont de difficultés à prendre leur envol pendant les six premières années d’existence.
Dès la septième année, la croissance s’accentue de manière notoire, grâce notamment à une ouverture à d’autres acteurs de la société civile, tels que les médias.
Les mutuelles de santé prises individuellement observent la même tendance.

Sur les quatre dernières années, une somme de 703663.03$US a été payée par les mutuelles de santé aux structures sanitaires du Sud-Kivu.
Aux côtés d’autres partenaires de la santé, elles sont à compter parmi les pourvoyeurs des fonds à ces structures, dont certaines vivent à 80% des recettes qui proviennent des mutuelles de santé. Ces quatre années, 80 970 mutualistes ont bénéficié des soins de santé.

Examinons de plus près le cas de la mutuelle de santé de CIRIRI, dans la zone de santé de Kadutu. Ciriri compte plus de 10.000 membres.
Par rapport à la population de l’aire de santé, c’est plus de 25% de la population qui est affiliée. Le taux de fidélisation y est remarquable.
L’hôpital général de Ciriri compte plus de la moitié de mutuellistes parmi ses patients.

Ciriri est pourtant une aire semi-rurale où la population est pauvre.
Le succès est pourtant au rendez-vous. La sensibilisation et la mobilisation a été portée par l’Eglise Catholique qui a mis son poids, sa capacité de persuasion dans la balance.
L’hôpital de Ciriri est géré par le BDOM.
Ce dernier a objectivement joué le rôle régulateur en principe dévolu à l’Etat, en veillant particulièrement à l’amélioration continue de la qualité de la prise en charge et des soins, en déterminant des tarifs forfaitaires accessibles à la population.
Les médecins de l’hôpital sensibilisés aux valeurs et à l’intérêt d’une mutuelle de santé, y compris pour l’hôpital, sont devenus les meilleurs et les principaux « propagandistes de la mutuelle de santé auprès des malades.

Les animateurs de la mutuelle gèrent l’outil de façon rigoureuse, sont issus du milieu, organisent en permanence un travail de proximité remarquable.
Ainsi, la mutuelle de santé s’est organisée pour être présente sur l’ensemble du territoire couvert : dans chaque hameau, des noyaux de solidarité mutuelliste (NOSOMU) regroupant 10 à 15 familles se sont mis en place.
Ils se réunissent chaque mois, perçoivent les cotisations, font le « contrôle social de proximité », perçoivent une petite cotisation complémentaire pour prendre en charge la cotisation mutuelliste de quelques indigents ou pour couvrir des frais exceptionnels que peut rencontrer une famille…
La mutuelle organise une véritable « défense des membres », en jouant l’interface entre ces derniers et les structures sanitaires, en relayant leurs plaintes, en veillant au respect des tarifs, non seulement la part prise en charge par la mutuelle, mais aussi celle restant à charge du patient…

Le succès de CIRIRI est manifeste. Il est aussi au rendez-vous dans d’autres aires et zones de santé.
Le travail inlassable réalisé par les acteurs de terrain et la structure d’appui aux mutuelles de santé à permis de sortir de la relative confidence dans laquelle le projet s’est développé durant les années de guerre.
La société civile, les médias ont été sensibilisés et se font désormais les échos positifs du développement mutualiste.
Les autorités provinciales ont été saisies de la question.
Il est à noter que depuis 2006, les cinq Gouverneurs de Province qui se sont succédés à la tête de la Province ont tous, sans exception repris l’appui aux mutuelles de santé à leur compte.
Cet appui politique s’st concrétisé notamment à travers un partenariat entre la Province de Hainaut en Belgique et celle du Sud-Kivu.

Ce partenariat a permis un financement substantiel de la Coopération Belge qui vise à jeter les bases d’une assurance santé solidaire généralisée, via la généralisation des mutuelles de santé et le renforcement des capacités de l’autorité publique à normer et réguler le secteur.
Peu à peu, le mouvement mutualiste, né et développé par et au sein de l’Eglise Catholique de Bukavu, touche de nouvelles zones et couches de population de la Province.
De nouvelles mutuelles se créent, un plan d’extension et de généralisation progressive est en place.
L’Assemblée Provinciale du Sud-Kivu a voté (bien avant la Loi Nationale) un édit régissant les mutuelles de santé…
Le processus de mise en réseau et de création d’une Fédération Provinciale des Mutuelles de Santé est bien avancé et devrait se concrétiser dans les mois qui viennent.

Ce sera ainsi un véritable outil porteur de la voix et des intérêts de la population qui sera opérationnel. Processus trop lent, diront certains, au regard des urgences humanitaires.
Certes, mais quel autre chemin proposer, qui permette à la fois l’amélioration des conditions réelles de la population et la mise en place progressive d’un système durable et soutenable ?

IV. Une volonté, un combat.

Tout cela indique à souhait qu’il est un déterminant essentiel, sur lequel on fait souvent l’impasse, c’est celui de la réelle volonté de construire un système mutuelliste.

Les moyens réellement affectés au développement des mutuelles de santé ont été jusqu’ici dérisoires. Les résultats déjà atteints dans le Sud-Kivu sont, au regard de ces moyens, remarquables.
Si la décision d’affecter à la construction des mutuelles de santé, pour renforcer un accès meilleur aux soins de santé, ne fusse que de 5 à 8% de l’ensemble des moyens en provenance de l’Etat ou des bailleurs extérieurs consacrés au secteur de la santé, le pays serait beaucoup plus avancé.

Il y faut la vision politique, la volonté et une réelle énergie consacrée. Le progrès social ne se décrète pas, il tombe encore moins du ciel.
Il est le fruit de luttes longues et souvent âpres.
Le champ de la santé ne fait pas exception à la règle.
Les gouvernements des pays du Sud, aussi bien intentionnés soient-ils, ont besoin d’un appui, d’une mobilisation populaire réelle et pressante.
A défaut, les pressions internes et externes seront les plus fortes, les exigences des institutions de Bretton Woods continueront à déterminer les politiques.

Les combats sociaux, pour être efficace sur le moyen et long terme, doivent s’appuyer sur des organisations sociales puissantes.
Dans le secteur de la santé, les mutuelles de santé, mises en réseau, organisées en Fédérations, en Union, peuvent devenir cette organisation sociale efficace.
Elles sont d’initiative populaire, le fonctionnement démocratique est leur règle.
La participation réelle de la population à la prise en charge de ses problèmes, la responsabilité qu’elle suppose, permettent de croire qu’il est possible de sortir de l’attentisme et de la politique de la main tendue.

Aujourd’hui, face aux échecs manifestes des autres politiques menées, l’intérêt pour le projet mutuelliste monte en puissance.
Mais le temps est compté.
Il faudra que les acteurs de terrain, soutenus par l’Etat, prouvent, résultats à l’appui que le chemin est pertinent et constitue réellement un espoir sérieux pour un accès généralisé à des soins de qualité.
Le pari est loin d’être gagné, mais la volonté et l’enthousiasme sont manifestes, et les premiers résultats sont encourageants.

Les risques d’échec sont encore importants ?
Certes. Qui pourrait le nier ?
L’étude de l’histoire des progrès politiques et sociaux nous enseigne-t-elle autre chose ?
Les pionniers des premières mutuelles de santé en Europe, vers la moitié du 19ème siècle pouvaient-ils savoir à coup sûr que leur action déboucherait 100 ans plus tard sur l’assurance maladie obligatoire ?
Les militants de la lutte contre l’esclavagisme, contre l’apartheid, contre le colonialisme étaient-ils assurés de la victoire ?
En 1942, qui ne donnait pour victorieuse l’armée nazie aux portes de Moscou ?
Les exemples sont nombreux, qui montrent que des hommes et des femmes déterminés ont changé le cours de l’histoire et ont réussi à démentir tous les défaitismes et les scepticismes ambiants, les prévisions « raisonnables ».

Ces hommes et ces femmes ont cru en l’improbable.
Ils étaient mus par des convictions profondes, une vision de l’homme et de la société, un projet de société de liberté, d’égalité et de progrès.

Leur intelligence à analyser le réel et ses contraintes, mais aussi leur détermination, leur courage à les transcender, leurs capacités à convaincre… leur ont permis de « transformer en force pratique les idées qui tourmentent les hommes »1 Les mutuelles de santé au Congo, c’est possible.
Le Gouvernement, les grands acteurs de la Société Civile, les Eglises… doivent ensemble convenir d’un pacte social et décréter la mobilisation générale.

1: J. Jaurès.

Un Plan Stratégique doit être mis au point, validé par les partenaires et mis en œuvre.
A titre d’exemple, les grands axes pourraient en être les suivants :

1. Mise en place d’un Comité National pour les Mutuelles de Santé.
2. Mise en place dans chaque Province d’expérience pilote de mutuelles de santé. Il faudra avoir pour objectif d’y atteindre 25% de taux de pénétration.
3. Formation de milliers de sensibilisateurs et de centaines d’agents et cadres pour les mutuelles de santé.
4. Financement de la phase de démarrage et de fonctionnement des trois premières années.
5. Mise en réseau Provinciale des Mutuelles de santé, suivie de la mise en réseau Nationale.
6. …

Le Congo se trouve devant des défis gigantesques et nombreux.
Celui du social mérite de trouver la place qui lui revient.
Le chantier est immense, le travail sera long et difficile.
Il est urgent de commencer.

« Aidez-nous à soulever le soleil au dessus du monde » 2

Kinshasa,
Le 17.10.13

Luc DUSOULIER

 2. Sikelianos, poète Grec.

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