Dans le Sud-Kivu, ACF Action Contre la Faim, AMI-PU Aide Médicale Internationale-Première Urgence, CRS Catholic Relief Service, IMC International Médical Corps, IRC International Rescue Comitee, MSF Médecins sans Frontières, Malteser… ont adopté de manière sélective l'approche de la gratuité totale ou de semi gratuité des soins.
MSF Hollande et Espagne ont appliqué la gratuité totale dans les zones de santé Baraka, Kimbi Lulenge en territoire de Fizi axe sud du Sud Kivu, à Bunyakiri, Kalonge dans le territoire de Kalehe dans l'axe nord de la province ainsi que dans le territoire de Shabunda un peu à l'ouest de la province.
L'IRC a opté pour la semi gratuité dans une partie de la zone de santé de Kalehe (Hôpital d'Ihusi,…) et dans le territoire de Kabare (Hôpital de Mukongola), Malteser International s’est implanté à Walungu (Hôpital FSKI au sud ouest) ; International Médical Corps (IMC) était présent dans la plaine de la rivière Ruzizi dans le territoire d'Uvira et même au nord Kivu ; le CICR était à Fizi, Uvira et Shabunda…
Les interventions des bailleurs consistent la plupart du temps en quelques investissements dans les infrastructures, en approvisionnement de médicaments, in prise en charge partielle des rémunérations du personnel et des frais de fonctionnement des hôpitaux, centres de santé ou bureaux de zones de santé.
Les différents acteurs de terrain rencontrés et interviewés se sont longuement exprimés, parfois après quelques craintes et réticences.
La vision et les analyses qu’ils expriment sont sans doute partielles, partiales, incomplètes.
Elles attribuent parfois à tort aux ONG humanitaires des maux qui rongent le système et dont les causes sont multiples, complexes, et liées à des facteurs indépendants des politiques de gratuité.
Pourtant, elles mettent aussi le doigt sur des réalités évidentes qu’on ne peut ignorer.
Les intuitions générales vont souvent dans la même direction.
Le regard porté sur les politiques de gratuité des ONG humanitaires est critique. Le constat général est amer.
On ne peut pourtant nier le besoin ni certains résultats sur le terrain.
La population pauvre et incapable de faire face seule aux coûts de la santé quand la maladie se présente, est en réelle attente de gratuité (ou quasi-gratuité des soins).
Elle l’exprime clairement et craint souvent le départ des ONG qui imposent la gratuité des soins dans les zones de santé soutenues.
Ainsi par exemple à Baraka/Fizi, la population affirme refuser le désengagement de MSF-H, elle s’est déclarée prête à casser les ponts et à barricader la route s'il advenait que ce partenaire se désengage.
Les raisons de cet état d’esprit sont sans doute multiples et complexes.
La nécessité vitale est évidente dans un certain nombre de situations. Pourtant, il faut aussi à notre sens pointer du doigt la mentalité attentiste et d’assistés perpétuels générée tant par une colonisation Belge mêlant prédation et paternalisme envers les populations que par les années Mobutu.
Pendant son règne, s’est installée en douce la pratique de « Don de/du …1 Maréchal Mobutu…, Roi de…, Mama Yemo… » Et ceci plus particulièrement dans les secteurs sociaux dont la santé.
Ce faisant, on a ainsi miné toute initiative d’auto prise en charge, sans compter l’incidence sur la conception de l’Etat et son rôle nécessaire dans l’organisation des services publics de base.
Par la suite, les longues années de guerre qui ont précipité les populations dans une misère effroyable n’ont bien entendu pas contribué à redonner le goût de s’en sortir seuls et ont renforcé la politique de la main tendue.
La présence massive d’ONG occidentales 2, avec leurs cohortes d’expatriés étalant sans discrétion aucune des modes et des niveaux de vie qui ne peuvent qu’apparaître que luxueux pour la population locale ne peut que perpétuer un état d’esprit attentiste et quémandeur.
La diminution de taux de mortalité, l’augmentation de taux de scolarité, la prise en charge pour les grandes épidémies comme le choléra, l’absence ou la diminution des cas de maladie à domicile ou des ventes de bétail et des parcelles pour se faire soigner, le maintien du capital familial sont indéniablement des effets à court terme de la politique de gratuité des soins.
Les prestataires de soins des zones concernées par la gratuité relèvent les avantages de celle-ci : taux de fréquentation et utilisation des services plus élevé, des malades qui viennent de partout notamment en pédiatrie et en maternité, un taux d’accouchements assistés en croissance, une détection précoce des maladies, la maitrise de l’épidémie de choléra et du paludisme, la réduction de taux de mortalité et de morbidité, les malades se rendent plus vite à l’hôpital, sans attendre la dernière extrémité…
Mais les limites sont nombreuses.
Certaines pathologies comme la hernie, le diabète et d’autres maladies ne sont pas prises en charge,(ou ne le sont que pour des catégories très ciblées), l’augmentation de fréquentation se traduit très vite par une sur fréquentation qui a pour conséquence la surcharge du personnel, une baisse de la qualité de la prise en charge, la sur-occupation des lits (plusieurs malades par lit), la rupture de stocks de médicaments…font inévitablement partie du décor.
Impact sur les prestations et le traitement du personnel.
Dans le mental collectif local il n'y a pas de qualité de soins dans la gratuité. Les prestataires des soins relève d’ailleurs la négligence dans le suivi des soins et des recommandations médicales par les patients ayant bénéficié de soins gratuits.
On note aussi l’impact négatif sur l’image des prestataires y compris sur les concernés eux-mêmes qui parlent de sentiment d’humiliation.
En gratuité, les prestataires des soins sont considérés comme moins compétents, Ils ne rempliraient pas leurs tâches correctement, les infirmiers font la consultation.
Les rémunérations du personnel sont fixées par le bailleur. De nombreuses plaintes sont exprimées par les personnels : jours fériés pas pris en compte ni les congés de circonstance.
Un grand sentiment de frustration sur les questions de revenus, de respects des droits du personnel se développe.
Les infrastructures et les frais de fonctionnement.
Parmi les appuis apportés aux ZS figurent la construction et/ou la réhabilitation des infrastructures sanitaires.
Dans la pratique, les partenaires de la Gratuité ne consultent pas les bénéficiaires et ne les font participer aux planifications ou évaluations, l’inadéquation entre les réalisations et les besoins réels sont dès lors monnaie courante, avec comme conséquence la non appropriation de l'ouvrage au départ du partenaire.
De plus, les usagers des infrastructures estiment que les frais alloués pour faire fonctionner les structures sont insuffisants, et les acteurs de la Société Civile rencontrés se plaignent de ne pas connaître la hauteur de fonds déployés à ces constructions/réhabilitations et se posent de nombreuses questions au regard de la qualité souvent faible des ouvrages remis.
Et dénoncent dans la foulée la publicité outrancière faite par ces mêmes ONG à leurs réalisations. Ainsi, on verra par exemple à l’entrée de l’Hôpital de Mukongola à Kabare un grand panneau tout neuf vantant la réhabilitation de l’hôpital par IRC… qui reste pourtant dans un état de délabrement inquiétant !
Les frais de fonctionnement que propose l'ONG porteuse de la gratuité ne supportent pas tous les besoins de fonctionnement d'une aire de santé.
Ainsi par exemple, le service de l'ambulance coûte en fonction des distances à parcourir, la facture est fixée arbitrairement à 5$ quelle que soit la distance et les conditions climatiques.
Ce tarif ne peut couvrir les frais réels des ambulances...
De façon générale donc, les ONG humanitaires imposent une tarification symbolique en contrepartie des intrants et frais de fonctionnement accordés à la structure de santé, minimisent les frais de maintenance et d’entretien permanents.
Tous les acteurs de terrain dénonceront de façon unanime l’insuffisance notoire des moyens mis à disposition au regard des exigences imposées en terme de tarifs.
Si on devait estimer qu’une politique de gratuité se justifie, il faut alors au minimum y mettre les moyens suffisants et en conséquence.
La fréquentation des structures sanitaires.
La fréquentation d’une structure sanitaire peut être perçue comme un indice de la qualité des prestations qui y sont livrées.
Dans les cas de gratuité de soins, il en va autrement. On assiste partout à une sur fréquentation qui influe alors négativement sur la qualité de la prise en charge et des soins procurés ainsi que sur la charge de travail des personnels.
La « demande » a explosé et les services sanitaires ne peuvent pas suivre l’engouement, c'est le cas du CS (initialement à 150 et actuellement à 950/1000 cas par semaine) et du CH de Baraka/Fizi dans le Sud de la province.
La situation a été la même au Burundi où l'Observatoire de l'Action Gouvernementale a constaté que la qualité s'est dégradée depuis que la gratuité a été installée.
Les zones de santé concernées connaissent aussi une grande demande des soins en provenance d’autres zones (à Kabare et à Kalehe, on rencontre de nombreux cas en provenance de Goma même qui se situe au Nord-Kivu).
Déséquilibres à l’intérieur d’une zone,
La gratuité privilégie souvent quelques structures. De ce fait, elle crée un déséquilibre et fragilise les autres se trouvant dans une même ZS.
Elle déloyalise/infidélise les populations vis-à-vis de leurs formations sanitaires initiales.
Par rapport aux prestataires des soins dans une même ZS, le système des primes au personnel au sein des structures appuyées engendre des conflits interpersonnels, des jalousies.
Tout le monde veut travailler là où se retrouve d’éventuels avantages pécuniaires.
Un cas éloquent est celui de Baraka/Fizi où beaucoup de prestataires de soins voulaient être affectés dans les structures à gratuité.
De même entre ONG urgentistes elles-mêmes, les difficultés surgissent.
Malteser s’est vu totalement déséquilibré à Kalonge dans le Territoire de Kalehe où MSF pratique la gratuité totale pour huit Centres de Santé sur les vingt existants dans le coin.
Chez MSF la fréquentation atteignait jusqu'à 200%. Les autres Centres des Santé non pris en charge ou appuyé selon d’autres modalités par Malteser ont connu de grandes difficultés
De plus, on observe une dégradation forte du respect de l’itinéraire de soins.
Les centres de santé, sensés prendre en charge la 1ère ligne, les soins ambulatoires, se voient désertés au profit des structures hospitalières dans lesquelles la gratuité de soins est de règle.
Et déséquilibre avec les zones de santé mitoyennes…
La proximité des zones de santé de Katana et de Miti-Murhesa avec celles de Kabare et de Kalehe n'est pas sans impact négatif sur la vie des premières.
Ainsi, à la Fomulac/Katana, on observe que 70% des malades référés n'arrivent plus à l'HGR, mais se rendent vers Kalehe, une diminution des accouchements assistés dans la zone car les femmes vont accoucher à Kalehe.
Le circuit de référence des femmes enceintes des aires de santé proches de Kalehe est perturbé.
Le taux d'occupation à la maternité chute, et avec lui, les recettes nécessaires…Le taux d'occupation de l'hôpital général a connu une chute importante.
Le recouvrement des frais de soins devient très faible dans la ZS. Les Aires de Santé voisines de Kalehe et celles longeant la route principale pour le cas de la Fomulac (c.-à-d. les CS de Mabingu, Ihimbi, Kadjuchu, Kabamba, Katana-Nuru, Kabushwa et Mugeri) ont un taux d'utilisation trop faible. Pour les patients c'est moins coûteux de prendre une moto ou un véhicule pour aller se faire soigner à Kalehe pour un tarif dérisoire que de payer plus sur place.
D'autres traversent le Parc National Kahuzi-Biega « PNKB » sans par ailleurs mesurer risques sécuritaires dans un coin encore infesté de groupes armés, afin de se rendre à Kalonge où s’applique la gratuité totale avec MSF-Espagne…
A Miti-Murhesa, les AS de Kalwa, de Cifuma, de Kajeje très proches de la ZS de Kabare connaissent elles aussi un manque à gagner considérable pour hospitalisations et les accouchements.
Des résultats certes, mais limités dans l’espace et le temps…
Les maladies pédiatriques courantes dans la région sont à la base du taux élevé de la mortalité infantile.
La prise en charge des enfants de 0 à 5ans a redressé sensiblement la situation, mais l’unanimité de ces résultats reste relative dans l’espace par rapport au système de santé en Province dans la mesure où la gratuité ne couvre que quelques parties précises de la Province.
Relative aussi dans le temps, car dès que les enfants ont dépassé l’âge de 5 ans, le dispositif de gratuité s’arrête brusquement pour eux… sauf à « tricher » sur l’âge réel des enfants comme nous l’avons observé.
Les taux d’accouchements assistés qui s’améliorent eux aussi ne résistent pas à la fin de la période de gratuité.
La ZS de la Katana/Fomulac a connu la gratuité totale avec l’IRC entre 2001-2003, durant la guerre menée à l'Est de la RD Congo par Rassemblement Congolaise pour la Démocratie (RCD/Goma).
Au départ du partenaire la Fomulac a connu une chute du taux d'utilisation de 75% à 35%.
La même expérience malheureuse s’est vérifiée à l’hôpital général de référence d’Uvira. La communauté ne s’est pas adaptée aux tarifs des soins après gratuité.
En 2006, la zone a commencé à se relever essentiellement grâce à d’autres appuis dans les aspects fonctionnels et pour la fourniture des inputs conçus comme appui au renforcement du système.
Pour l’IRC et nombre de protagonistes de la politique de gratuité cependant,, la diminution de la mortalité infantile, le taux de fréquentation, le taux d’accouchement… restent des arguments déterminants en faveur d’une politique de gratuité.
Certes, mais la question de la pérennisation et de la généralisation du système reste entière.
Quand ces questions ne sont pas bien posées et qu’a fortiori, elles ne trouvent pas de réponses adéquates, les effets positifs passagers des politiques de gratuité déployées s’avèrent être des trompes l’œil.
Car au départ du partenaire la situation change rapidement, pour revenir aux chiffres initiaux, voire inférieurs.
IMC a renoncé définitivement au système de gratuité après avoir évalué les conséquences néfastes de la pratique de celle-ci deux ans après son désengagement au Nord-Kivu.
C’est également le cas à Walungu avec le désengagement de Malteser en 2008 où la situation nutritionnelle des enfants appuyés par celui-ci est devenue plus inquiétante qu’avant l’intervention.
Malteser a d’ailleurs tiré les conséquences de son évaluation et a renoncé à la gratuité des soins et soutient désormais le développement des mutuelles de santé.
Sans plan de sortie préalable concerté et mis en œuvre bien avant le désengagement, tout s’écroule.
A Fizi/Baraka par exemple la population interviewée craint le pire au départ de MSF-H et par conséquent boude tout éventuel projet du désengagement du partenaire.
L’Etat trop absent.
Pour nombre d'acteurs locaux du Sud Kivu, le fait que l'Etat congolais ne contrôle ni n'évalue régulièrement l'action des humanitaires et que ces derniers n'associent préalablement pas les bénéficiaires dans la planification de leurs activités, tel que voulu par le Protocole de Paris 3 (mars 2005) sur l'alignement de l'aide au développement, explique la menace "relative" que fait peser le système de gratuité des soins sur le développement de la province.
Ce n’est pourtant pas faute de règlements et de textes législatifs.
La RD Congo dispose de textes législatifs et de règlementations qui visent à régir ses relations avec les ONG extérieures et à cadrer leur travail.
Le vade me-cum du partenariat dans le secteur de la santé de septembre 2003 en est un. Par ce document, l'Etat congolais a voulu créer un vrai partenariat avec les ONG et les organisations confessionnelles qui appuient actuellement plus de 60% des structures fonctionnelles du pays.
L’Edit N° 02/2010 du 07 Octobre 2010 pris par la province du Sud Kivu en est un autre exemple.
Cet édit porte sur les dispositions générales applicables aux asbl, aux ONG Internationales et Nationales ainsi qu’aux Etablissements d’utilité publique œuvrant dans le domaine humanitaire et de développement en Province du Sud-Kivu et veut combler certaines lacunes de la loi 004/2001 du 20 Juillet 2001 sur les asbl conformément à la nouvelle configuration du pays afin d’améliorer la capacité d’intervention des partenaires humanitaires et de développement ainsi qu’à augmenter leur efficacité sur terrain.
Il existe encore au Sud-Kivu des protocoles et conventions de partenariat avec les humanitaires
L’Arrêté Provincial N°11/025/GP/SK donne au gouvernement provincial la prérogative de conclure avec les ONG des conventions de partenariat qui définissent dans ses articles 30 à 40 les droits et les obligations des parties dans les matières qui relèvent de la compétence de la Province ; c’est naturellement le cas de secteur de la Santé dans le système décentralisation.
Mais hélas, la pratique est loin de suivre ces règles. Du côté des autorités publiques, elles sont peu suivies.
La faiblesse des institutions de l’Etat et la corruptibilité de certains de ses agents les rendent incapables de faire appliquer le droit sur le terrain.
Quant à elles, les ONG ne montrent guère d’enthousiasme à les respecter et profitent souvent de leur position de force en matière de financement pour passer outre et les ignorer.
« Le critère des choix de nos bénéficiaires est orienté par la vulnérabilité des enfants, femmes enceintes et victimes des violences, les urgences chirurgicales, l’indigence des populations dans la communauté », affirment-elles. Peut-être, mais ces critères sont choisis, définis et mis en œuvre à partir de l’étranger, dans les grandes capitales occidentales ou les sièges centraux des grandes ONG.
Cela conduit à des situations absurdes.
On peut voir plusieurs ONG œuvrer dans le même axe, pour les mêmes interventions et les mêmes bénéficiaires…
Les critères d’éligibilité, les conditions d’orientation pour l’accès à la gratuité des soins de santé dans la Province du Sud-Kivu, sont donc déterminées par l’ONG internationale partenaire selon des critères souvent subjectifs liés aux ressources disponibles ainsi que de son domaine d’intervention, et sans concertation avec les pouvoirs publics.
Le respect du principe de souveraineté des pays qui implique de ne pas agir à l’intérieur des frontières d’un État sans son approbation ou adéquation avec ses politiques se voit bafoué et nié dans les faits.
Les ONG refusent de prendre en compte les frontières et se prévalent de soulager ceux qui d’après elles souffrent, quel que soit l’avis du gouvernement de l’endroit qu’ils habitent.
Les ONG revendiquent ainsi, au nom de l’universalité des droits de l’homme, ce qu’on appelle le « droit d’ingérence humanitaire4 ».
Il n’est pas question de nier la pertinence et la nécessité de l’approche urgentiste dans un certains nombre de situations.
Encore faut-il que celles-ci soient balisées, définies par les autorités ou à tout le moins en accord avec elles.
Les protocoles d’accord qui balisent la politique de gratuité de soins dans une situation d’urgence humanitaire existent souvent, mais ils ne sont pas suivis ni respectés.
Les promesses faites avant l’arrivée ne sont pas tenues, eu côté de l’Etat, on ne se soucie guère de le vérifier.
De nombreuses questions se posent. Comment se fait le choix des zones soutenues par les ONG humanitaires ? On l’a déjà souligné, les zones d’urgence qu’elles définissent selon leur critères ne correspondent pas à la cartographie de l’autorité provinciale.
Et si pour certaines zones, les critères sont évidents et qu’en effet, la situation peut être qualifiée d’urgence, c’est moins évident dans d’autres cas.
Il n’est par ailleurs pas normal, dans le cadre d’un Etat souverain, que le choix ne s’opère pas au minimum en concertation avec les autorités, même si à cet égard, il faut souligner les efforts des autorités provinciales pour reprendre le leadership.
Pourquoi l’ensemble des aides ne sont-elles pas collectées par l’Etat qui jouerait son rôle en définissant les priorités, la durée des soutiens, des perspectives de sortie…
L’Etat est ainsi dépossédé du pouvoir et du rôle qui doivent être le sien.
Le fonctionnement certes très imparfait de l’Etat Congolais à ce jour ne peut servir de prétexte pour poursuivre des politiques qui empêchent sa nécessaire reconstruction.
Impact négatif sur le développement des mutuelles de santé.
Une politique d’urgence humanitaire qui s’éternise et tend par là même à s’ériger en système ne peut que contrecarrer les efforts fournis pour faire émerger des logiques de financement durable et solidaire des coûts de santé.
C’est clairement le cas sur le développement des mutuelles de santé.
Kabare et Kalehe sont des zones de santé appuyées par des ONG qui exigent la gratuité des soins (partielle).
Depuis plusieurs années, des mutuelles de santé tentent de s’y développer.
Elles rencontrent bien entendu de grandes difficultés à recruter des adhérents et à les fidéliser.
Ainsi par exemple à Kabare où la gratuité ciblée a commencé en 2011 les adhésions des MUSA en 2012 ont chuté de 25%, soit une perte de 721 membres par rapport en 2011.
La pauvreté n’explique pas tout, car d’autres zones aussi pauvres connaissent des résultats bien meilleurs.
L’urgence humanitaire contre le développement ?
Les logiques humanitaires estiment tenir leur légitimité des situations « catastrophiques » auxquelles sont confrontées des populations. Ces catastrophes peuvent être naturelles ou conséquences de guerre.
Elles existent à coup sûr.
Encore faut-il souligner qu’elles n’ont pas le même impact sur les populations selon qu’elles se passent dans un pays ou un autre. Les conséquences de violents séismes comme un tremblement de terre, une irruption volcanique… ne seront pas les mêmes au Japon ou en RD Congo !
La catastrophe est bien plus évidente dans un contexte de grande pauvreté, d’Etat faible, avec infrastructures défaillantes, ne disposant pas de procédures et plan de prévention ou de gestion des catastrophes…
Les séismes dits naturels se déroulent bien souvent dans des contextes de séisme politiques, économiques et sociaux qu’on préfère occulter, mais qui n’en constituent pas moins la véritable cause des drames humains auxquels il faut faire face.
Les situations de famine rencontrées à certaines époques en Afrique ne furent jamais provoquées par la seule sécheresse.
Les conflits en cours en constituaient aussi un déterminant majeur
Les interventions humanitaires peuvent bien entendu s’avérer utiles et nécessaires.
Mais si elles dispensent d’une réflexion sur les causes profondes des réalités vécues, ou pis encore si elles bloquent l’émergence de logiques de souveraineté et de développement durable, elles se rendent complices des mécanismes économiques et politiques qui sont à l’origine des inégalités entre les peuples et entre les humains, qui les perpétuent et les approfondissent.
Ainsi par exemple, il faut s’interroger sur les pratiques du PAM (Programme Alimentaire Mondial), qui, pour faire face aux problèmes de sous-alimentation dans le Sud-Kivu, distribue gratuitement des farines importées dans certaines zones.
Ces farines ne correspondent souvent pas aux habitudes alimentaires des populations qui parfois, s’empressent de les revendre pour acheter la farine de manioc ou de sorgho.
De plus, cette politique d’importation a considérablement freiné le développement de cultures locales à partir desquelles était produite la farine de masoso, très nutritive et qui permettait le développement économique agricole local.
Ces considérations choquent souvent en occident, car l’humanitaire y est connoté positivement et, il est vrai que celles et ceux qui s’y engagent ou qui le soutiennent par des dons, contributions… le font toujours de bonne foi, convaincus de participer à un cause noble.
L’humanitaire, l’urgence sont en réalité devenus de nouveaux marchés pour lesquels les batailles font rage entre ONG.
Nombre d’entre elles sont devenues de véritables « multinationales » de l’humanitaire, employant plusieurs milliers de personnes de par le monde, disposant de budgets structurels considérables qu’elles doivent s’efforcer de préserver et d’augmenter.
Dès lors, la concurrence est forte, la lutte pour la visibilité grande.
A grand renfort d’images insoutenables qui s’apparentent à du voyeurisme, les ONG tentent d’émouvoir et de mobiliser la générosité citoyenne dans les pays développés.
Cyniquement, il est arrivé à certains acteurs de la Monuc en RD Congo de déclarer « no Nkunda, no job » (Nkunda était le général rebelle rwandophone de CNDP, soutenu par Kigali et qui a mis le Nord-Kivu et Bukavu à feu et à sang durant les années 2000), indiquant ainsi clairement que leurs revenus et les devises qui rentraient dans leurs pays étaient conditionnés par la situation de guerre à l’Est du pays et que la paix serait pour eux une mauvaise affaire.
N’en va-t-il pas de même pour nombre d’ONG occidentales ?
L’action humanitaire s’appuie sur des ressorts multiples (la compassion envers les victimes, la mobilisation des opinions occidentales, la rapidité de l’intervention, la visibilité de l’action…) qui tous ont tendance à occulter les causes profondes des catastrophes.
Ce faisant, elle bloque toute approche politique des réalités et des réponses à apporter. La question de la reconstruction de l’Etat, de l’économie, des structures sociales est d’autant retardée.
Et le pays reste toujours aussi vulnérable et démuni pour faire face aux défis sociaux, voire aux nouvelles situations de catastrophe qui peuvent survenir.
En outre l’hypermédiatisation de l’élan humanitaire international a pour effet d’occulter le travail et la mobilisation locale pour faire face aux drames.
Ainsi à Bukavu en 94, dans la foulée du génocide, des dizaines de milliers de réfugiés se massaient dans la ville et ses abords.
Les grands acteurs de l’urgence humanitaire se sont mis en branle et se sont mis en spectacle… avec peu d’efficacité.
Il aura fallu la mobilisation des Eglises locales, en concertation avec ce qui restait d’Etat à l’époque, pour que la prise en charge sanitaire des réfugiés prennent un peu d’allure et se révèle un tant soit peu efficace, tout cela, sans grande visibilité et sans écho médiatique en Occident.
Il faudrait encore évoquer les impacts indirects mais bien réels, tels la hausse des loyers, (les prix des maisons à louer dans le quartier de Muhumba, au bord du lac à Bukavu ont flambé.
Il n’est pas rare de voir des loyers à 1500 ou 2000 dollars) celle de nombreux biens et marchandises ou services.
Ainsi à Bukavu, la location d’un 4x4 pour une journée peut se monter à 200 dollars hors carburant…Ou les cadres, fonctionnaires, médecins débauchés par les ONG qui paient des salaires bien plus élevés que ne peuvent proposer les institutions locales.
Ils ne sont pourtant recrutés que pour les tâches d’exécution de terrain.
La division du travail opère en plein, entre ONG internationales et ONG locales réduites au rôle d’exécution de terrain au mieux, à l’intérieur même des ONG occidentales, entre expatriés et personnel local.
Ou encore l’accentuation de la dollarisation de l’économie à cause de la masse de dollars injectés pat les opérateurs internationaux.
Nous l’avons suffisamment fait apparaître : les politiques de gratuité de soins, telles qu’elles sont mises en œuvre par les grandes ONG occidentales posent de nombreuses questions.
Elles posent certes une question réelle et pertinente.
Comment rendre l’accès aux soins possible pour une population aux revenus si faibles, dans le cadre d’un Etat disposant de moyens trop faibles et dont les bonnes orientations sont trop souvent minées de l’intérieur par l’inefficacité et la corruption.
Mais, mis à part quelques effets de court terme sur les indicateurs de santé, il est clair que leur vision et leurs stratégies n’est ni efficace en terme de mobilisation suffisante de fonds, ni durable.
Elles bloquent l’émergence, le développement et la consolidation de système de santé et de financements de celle-ci, durables, solidaires et endogènes.
2.. Très visible sur les ambulances, les Hôpitaux et Centres de Santé, matériel et autres infrastructures comme des machines, les appareils, les emballages des médicaments…
3.. Elles se concurrencent de plus en arborant ostensiblement drapeaux, logos… sur les véhicules4x4, les immeubles loués à gros prix…
4.. Dans la Déclaration de Paris les engagements ont été formulés en termes d'"Engagements de Partenariat », conçus dans l’esprit de la responsabilité mutuelle et basés sur les leçons apprises de l’expérience afin d’exprimer le fait que le changement de comportements était nécessaire aussi bien pour les bailleurs de fonds que les pays bénéficiaires.
5.. Microsoft Encarta 2009. 1993-2008 Microsoft Corporation.